Nuisances acoustiques engendrées
par les avions
Note méthodologique
A. L'absence de débat global
Le débat relatif aux nuisances acoustiques engendrées par les avions
autour de Bruxelles National est faussé par l'absence de définition
d'une démarche méthodologique appropriée :
-
les normes d'immission (niveaux de bruit mesurés au niveau
du sol) ne font pratiquement l'objet d'aucun débat. Or, ce sont
ces normes qui devraient guider les choix au niveau opérationnel,
et non l'inverse.
-
il n'y est pas (ou peu) question de mesures d'accompagnement
telles qu'elles sont pratiquées en Belgique (Bierset) et à l'étranger
(Schiphol) sur une très large échelle. De telles mesures s'imposent
dès lors que les normes d'immission ne peuvent plus être respectées
-
l'éventuelle opportunité du choix entre une politique de concentration
ou une politique de dispersion des vols est considérée
« à priori » comme « politiquement incorrecte ».
-
la recherche d'alternatives dans le cadre d'une politique
aéroportuaire belge ou européenne n'est même pas envisagée.
-
on veut bien prendre en considération les problèmes de santé
publique les plus graves[1], mais on relègue d'office les problèmes
d'environnement humain et de qualité de la vie au rang de caprices
d'enfants gâtés[2].
-
il n'y est pas question de limitation absolue du nombre global
annuel des mouvements[3].
-
il n'est nulle part question d'envisager des alternatives basées
sur des cheminements différents pour les avions, ni sur le déplacement
de centaines balises ou « waypoints » [4].
L'objectif prioritaire de l'Etat
reste très officiellement la poursuite, coûte que coûte, de l'augmentation
de la capacité horaire et de la capacité annuelle de l'aéroport
en termes de nombres de mouvements. Les normes de sécurité ne viennent
qu'en deuxième lieu; elles sont certes, autant que possible, respectées
sur le plan formel, mais les impératifs liés au principe de précaution
sont délibérément ignorés[5].
Les problèmes environnementaux ne sont pris en considération qu'en tant
que prétextes dans le cadre de la promotion de conflits politico-communautaires.
B. Le débat est polarisé sur la « dispersion équitable »
Le débat qui monopolise actuellement l'intérêt
du public et des médias est celui de la recherche d'une hypothétique
« équitable dispersion » des nuisances en prenant comme
critères principaux d'équité le rôle linguistique et l'appartenance
régionale ou communale des victimes. Il part du principe que, quel
que soit le caractère inhumain des souffrances imposées aux habitants,
ces souffrances deviennent légitimes à partir du moment où la justice
distributive est respectée entre les habitants ! C'est le
seul débat dont la validité des aspects méthodologiques sera
ici abordée.
Deux postulats, non autrement démontrés,
ont été posés par l'Etat belge pour aborder cette problématique,
à savoir :
-
Le niveau de gêne, défini comme étant le niveau équivalent
Leq sur une période donnée, est supposé susceptible d'être validement
« moyenné » entre des périodes qui s'avèrent totalement
hétérogènes. Ainsi « moyenné » sur une année, il conduit
à prétendre définir comme indice de gêne significatif le niveau équivalent
Leq sur 365 jours (Leq,1an ou LDN.1an ou Lden.1an suivant les facteurs
de pondération qui sont introduits). La variation, parfois considérable,
d'une journée à l'autre n'est absolument pas prise en considération,
et rend cette « moyenne » absolument non-représentative
de la gêne réellement subie.
-
L'espace au sol autour de l'aéroport est supposé pouvoir
être divisé en 6 zones, arbitrairement décrétées homogènes
quant à la nuisance subie par leurs habitants. Ces zones sont sommairement
décrites d'un coup de crayon sur un schéma, au débouché de chacune
des 6 pistes de l'aéroport. Une telle simplification est peut-être
courante dans l'étude des comportements sociétaux des fourmis. Elle
est plus inattendue dans la description des souffrances d'êtres humains.
La présente note tend à démontrer que ces
deux postulats n'ont aucun fondement. Les documents annexes démontrent
que les nuisances journalières présentent un caractère très nettement
hétérogène. Les conclusions actuellement tirées de l'application
de ces deux postulats souffrent donc d'une grave erreur méthodologique.
Pour être crédibles, les raisonnements et les comparaisons devraient
respecter les propositions suivantes :
-
Il est irréaliste, sinon surréaliste, d'espérer calculer des
moyennes représentatives d'une hypothétique gêne globale, en additionnant
entre elles des « journées infernales » et des journées
« normales », pas plus qu'en additionnant des nuits « blanches »
cauchemardesques et des nuits « normalement réparatrices ».
Par exemple, si un local de travail présente en hiver une température
glaciale de 5°C un lundi à 8 heures du matin et si, après mise en
marche du chauffage, il affiche à midi une température torride de
35 °C, il serait hasardeux d'expliquer aux travailleurs que leur gêne
est imaginaire, puisque la température moyenne a été de 20° C, et
est donc idéale.
De même, si les victimes d'une grave inondation ont vécu la montée
des eaux durant une journée, il est inutile de tenter de leur expliquer
que leurs maux sont imaginaires, puisque le mois correspondant à
la journée d'inondation a été jugé relativement sec par l'IRM par
rapport aux mois correspondants des années précédentes !
-
Dès lors, les critères de jugement, de comparaison et de seuils
à ne pas dépasser doivent être basés sur des moyennes tout au
plus journalières, et non sur des moyennes annuelles.
Le nombre de dépassements de valeurs instantanées (les pics) par jour
(ou par nuit) constitue également une forme d'indice de gêne qui garde
une importance primordiale.
-
Le respect de normes de bruit, garant de la protection de
l'environnement et de la santé d'êtres humains (et non plus de fourmis)
est un préalable impératif. Il doit prévaloir sur des considérations
politiques visant l'exercice d'une soi-disant « justice distributive »
de nuisances excessives entre les différentes zones.
-
Le principe « pollueur-payeur » doit rester de
pleine application. La recherche d'un équilibre entre intérêts économiques
et protection de l'environnement humain doit se faire classiquement
par le recours aux mesures de compensation et aux mesures d'accompagnement,
tels qu'expropriation, indemnisation, travaux d'isolation, etc., ainsi
que, pour leur financement, par le recours aux instruments économiques.
Ne pas respecter ce principe reviendrait à introduire une grave
distorsion de concurrence entre Bruxelles-National et les autres
aéroports internationaux, en Belgique comme à l'étranger. De plus,
cela permet de « gommer » plus facilement les arguments
qui militent en faveur du choix d'une politique de concentration sur
les zones peu densément peuplées en tant qu'alternative très valable
à une politique de dispersion.
C. Le caractère abusif du recours à l'indice de gêne moyen « Leq,année
- L'exemple du sonomètre NMT 39-2
Le sonomètre NMT 39-2 est situé sur l'axe
de la piste 02, à une cinquantaine de mètres en aval de la balise OM
02. Il est géré par l'IBGE et à ce titre fonctionne suivant le protocole
dB01. Il se trouve à certaines occasions sous le corridor étroit d'atterrissage
vers la piste 02 (100 % du trafic de l'aéroport), et le plus habituellement,
sous l'espace assez large couvert par les décollages de la 25 R avec
virage à gauche (42 % du trafic de l'aéroport). Il n'est par contre
que peu survolé par les avions décollant de la piste 20
A titre d'exercice, les enregistrements
des 7 mois allant de septembre 2004 à mars 2005 ont fait l'objet d'une
analyse fine, jour par jour (voir annexe). Un listing des journées et
des nuits « noires » est également repris en annexe.
En toute première lecture, on peut remarquer
que :
-
les survols ont lieu tous les jours sans exception, sans périodes
de répit.
-
Les journées se suivent, mais ne se ressemblent pas :
elles s'avèrent être, soit un enfer, soit simplement à la limite du
supportable
-
La journée la plus pénible se situe le 8 septembre 2004
avec 372 atterrissages à basse altitude, dont 344 dépassent le seuil
de 70 dB
-
La nuit la plus « insomniaque » a été celle du
8 au 9 octobre 2004, avec 58 atterrissages, dont 56 dépassent le seuil
de 70 dB et 10 le seuil de 80 dB.
En deuxième lecture, en examinant et en
comparant les données, on peut mieux mettre en évidence les différences
fondamentales qui font que les journées « 02 » ne peuvent
en rien être comparées ou amalgamées avec les journées
« 25 ». Les périodes « jour » (07 :00 à 22 :59
heures) et nuit » (23 :00 à 6 :59 heures) seront, bien
sûr, examinées séparément.
Pour le jour, entre 07:00
et 22:59 heures
Les paramètres d'analyse suivants ont été
calculés; les valeurs renseignées comme « représentatives »
d'une journée « type » y sont indiquées à l'approximation
près, car il faut tenir compte des très nombreuses journées d'utilisation
mixte « 02 » et « 25 » :
-
Le niveau équivalent résiduel « Leq,jour »
est un niveau calculé correspondant fictivement à ce
que l'indice de gêne Leq aurait été si il n'y avait pas
eu de survols d'avion durant ce jour (calculé sur un tracé sonomètrique
d'où les bruits des passages d'avion ont été retirés). Pour le point
considéré, il évolue normalement entre 48 et 53.
-
Le niveau équivalent global « Leq.jour »
(effectif). Celui-ci peut être considéré comme un indice de gêne
fiable pour le jour considéré. Il se situe habituellement entre
50 et 55 pour la configuration « 25 »
et entre 60 et 63 en configuration « 02 ».
-
La contribution des avions à la détérioration de l'indice
de gêne suite aux survols est la différence arithmétique entre les
deux précédents ; elle varie entre 0 et 6 pour la configuration
« 25 » et entre 10 et 18 pour la configuration
« 02 ».
-
Le nombre d'apparitions (de survols). Il varie grosso
modo entre 50 et 150 en configuration « 25 »
et entre 200 et 370 en configuration « 02 ».
-
Le pourcentage de temps durant lequel le bruit des avions
est présent. Il varie entre 3 et 10 % en configuration « 25 »
et entre 15 et 20% en configuration « 02 ».
Il permet d'objectiver la notion d'émergence dans le temps.
-
Le nombre de pointes de bruit dépassant 70 dB. Il varie
entre 1 et 50 en configuration « 25 »
et entre 100 et 350 en configuration « 02 ».
-
Le nombre de pointes de bruit dépassant 80 dB Il varie
entre 0 et 1 en configuration « 25 »
et entre 8 et 30 en configuration « 02 ».
Pour la nuit, entre 23:00
et 6 :59 heures
Les valeurs oscillent « grosso modo »
entre les valeurs suivantes, respectivement pour les régimes
« 25 » et les régimes « 02 ».
-
Niveau résiduel : entre 38 et 45, sans distinction de régime
-
Niveau global : entre 38 et 45 et entre 56 et 62
-
Contribution : entre 2 et 5, et entre 10 et 20
-
Nombre de survols : entre 5 et 10, et entre 20 et 55
-
Pourcentage de temps ; entre 2 et 2.5 %, et entre 5 et 15
%
-
Dépassement de 70 dB : entre 2 et 7, et entre 25 et 50
-
Dépassements de 80 dB : entre 0 et 0, et entre 1 et 8
Ceci démontre
à suffisance qu'il n'est pas sensé de prétendre pouvoir définir une
quelconque gêne moyenne annuelle un tant soi peu représentative
sur base de journées aussi fondamentalement différentes. Il faut
que des normes journalières soient respectées et non des normes
annuelles qui n'auraient aucun sens.
D. Le caractère arbitraire et abusif de la globalisation d'une
soi-disant « zone » dénommée « zone 3 ».
Le caractère inhomogène de la zone 3 (zone
arbitrairement définie au débouché Sud de la piste 02/20) est patent.
En effet, cette zone est :
-
tantôt survolée dans son ensemble par les retours (en éventail)
de la piste 25 R (42 % du trafic total de l'aéroport, durant +/- 90
% des journées de l'année),
-
tantôt épargnée dans les trois-quarts de sa surface au sol
et littéralement massacrée dans le quart restant, lors des atterrissages
sur la piste 02 (100 % du trafic de l'aéroport sur corridor filiforme
durant +/- 10 % des journées de l'année »,
-
tantôt épargnée (de nuit) sur trois autres quarts de son
territoire et littéralement massacrée sur le quart restant par les
décollages de la piste 20 (à peu près chaque nuit).
Il n'y a visiblement pas l'ombre d'un
point commun entre ces différentes situations. Ces situations si
différentes concernent en effet trois sous-zones qui se chevauchent,
sous-zones entre lesquelles vouloir réaliser une moyenne relève de
l'absurdité. Vouloir de plus utiliser une telle moyenne pour, ensuite,
exercer une soi-disant « justice distributive » avec d'autres
zones, relève de la manipulation de l'opinion publique, et non d'une
approche méthodologique digne de ce nom..
E. Conclusions
Quel que soit
l'angle sous lequel on examine la situation, on se doit d'imposer
et de faire respecter des normes journalières minimales d'immission,
valables tous les jours, pour tous les habitants, considérés
individuellement, quels que soient leur langue, leur race, leur appartenance
communautaire, leur revenu, leur religion ou la couleur de leur peau.
Des normes annuelles n'ont ici aucun sens, pas plus que n'a
de sens une globalisation territoriale de zones inhomogènes.
Si des motifs
relevant d'impératifs socio-économiques supérieurs nécessitent d'imposer
des schémas opérationnels où ces normes ne peuvent plus être matériellement
respectées, alors, il convient de permettre aux habitants concernés
de déménager (expropriation) ou d'être indemnisés (travaux lourds
d'isolation de toute la maison). De telles mesures d'accompagnement
concernent alors tous les habitants, quelle que soit la soi-disant
zone où ils habitent. Elles doivent alors être financées par le recours
aux instruments économiques.
Jacques Coomans
Le 18 octobre 2005
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